| RAISON, subst. fém. I. − Sens subjectif, toujours au sing., le plus souvent avec art. déf. A. − Principe pensant; mode de pensée. 1. [P. oppos. à l'instinct de l'animal] Faculté qu'a l'esprit humain d'organiser ses relations avec le réel; son activité considérée en général tant dans le domaine pratique que dans le domaine conceptuel. Synon. pensée, intelligence, esprit, connaissance.Si l'on prétend que l'homme a une ame et que les autres animaux n'en ont point, quelle différence caractéristique trouve-t-on entre la raison humaine et la raison des bêtes? En existe-t-il quelqu'autre que celle du plus au moins? (Senancour, Rêveries, 1799, p. 249).S'il était dépourvu de toute faculté de raison, Macaron [un chat] semblait doué de réactions et de sentiments humains: la tendresse, l'amour, l'indifférence, la jalousie, la tristesse (Alma, avr. 1987, n o6, p. 109, col. 1).V. asymptote ex. 2, intelligence I A 1 a ex. de Flaubert: 1. Si les sociétés humaines se distinguent des sociétés animales, c'est à cause justement de l'existence préalable chez les hommes de la faculté d'abstraire et de généraliser et par-delà de l'attention volontaire. Si la raison est fille de la cité, c'est donc parce que d'abord la cité a été fille de la raison.
Traité sociol., 1967, p. 67. 2. Ensemble des facultés intellectuelles considérées du point de vue de leur état et de leur usage (capacité, force, intensité) par rapport à la normale. Synon. esprit.Sentir sa raison chanceler, vaciller, chavirer, sombrer; douter de sa raison; la raison s'altère, s'affaiblit, diminue, s'obscurcit, s'égare; une lueur, une étincelle de raison. J'ai fait un déjeûner délicieux avec ce galant homme! J'en suis encore tout égrillard, je sens encore ma raison endommagée par le vin d'Espagne (Borel, Champavert, 1833, p. 169).Une minute, ils se dévorèrent des yeux. Le Roux n'osait descendre sa main vers sa poche. Il vit lentement la raison revenir aux yeux de Zidore. Il comprit qu'on ne se battrait pas (Van der Meersch, Invas. 14, 1935, p. 174): 2. Elle affligea mon enfance par des accès de mélancolie et des crises de larmes. Sa tendresse pour moi allait jusqu'à troubler sa raison, si lucide et si ferme en toutes choses.
A. France, Pt Pierre, 1918, p. 10. − Loc. verb. ♦ Avoir, garder, conserver (toute) sa raison. Jouir de (toutes) ses facultés intellectuelles. Synon. avoir (toute) sa tête, sa lucidité.Il a toute sa raison. Il m'a fait approcher, et m'a prié d'une voix faible de prendre les arrangemens nécessaires pour qu'il pût être enterré sur une colline voisine, d'où la vue porte sur la Lombardie (Krüdener, Valérie, 1803, p. 268).Eux les pas fous, qui avaient toute leur raison, qu'ils disaient (Céline, Voyage, 1932, p. 77). ♦ Perdre la raison. Perdre l'usage de ses facultés intellectuelles ou devenir fou. Marguerite: (...) Vous êtes jaloux, mon beau gentilhomme. La Môle: Oh! à en perdre la raison (Dumas père, Reine Margot, 1847, iii, 7etabl., 8, p. 101).Mon petit garçon a perdu la raison à l'âge où l'on n'en a pas encore (A. France, Livre ami, 1885, p. 68).En 1788, Georges III perdit la raison (Lefebvre, Révol. fr., 1963, p. 221).P. exagér. Suivre un parti déraisonnable, hors du bon sens. Quoi! Vous avez fait ce mauvais marché? il faut que vous ayez perdu la raison (Ac.1798-1878). ♦ Recouvrer la/sa raison. Retrouver sa lucidité. Roulant au hasard, je me rappelle les signaux que j'avais semés pour retrouver la route de ce dédale incliné. Je les cherchais vainement. Le désespoir me saisit (...). Mais j'aperçois l'une de ces marques qui me conduit à une autre. Il n'en fallut pas davantage pour relever mes esprits abattus. Dès-lors je recouvre ma raison et mes forces (Dusaulx, Voy. Barège, t. 1, 1796, p. 141). 3. a) [P. oppos. au cœur en tant que siège de l'affectivité, source du sentiment, de la passion et p. oppos. à la volonté en tant que source du caprice] Faculté de bien juger, de discerner le vrai du faux, le bien du mal; ensemble des qualités de celui ou de celle qui sait se rendre maître de ses impulsions, de son imagination, notamment dans son comportement, dans ses actes. Synon. sagesse, bon sens, discernement, jugement, mesure.Que sont l'éloquence et la raison à l'imbécillité suffisante, et au parti pris de l'orgueil? (Chateaubr., Mém., t. 1, 1848, p. 626).J'essayai alors de lui expliquer [à ma femme] qu'il n'y a rien de plus sérieux au monde que la poésie (...). Je me butais perpétuellement à ce qu'elle appelait le bon sens, la raison, cette excuse éternelle des cœurs secs et des esprits étroits (A. Daudet, Femmes d'artistes, 1874, p. 105).V. avertir ex. 9, entendre ex. 16, fierté ex. 3, inébranlable ex. 2, mépriser A ex. de Stendhal, raisonneur A 1 ex. de Sainte-Beuve: 3. C'est cette proportion de froide raison et de passion, de fougue et de logique, d'ivresse joyeuse et de travail douloureux dont tous les maîtres nous donnent l'exemple, qui constitue la force du génie.
Arts et litt., 1935, p. 84-7. SYNT. a) Écouter, suivre la/sa raison; être guidé, éclairé par la raison; se fier, obéir à la/sa raison; abdiquer sa raison; manquer de raison; invoquer, faire valoir la raison; avoir recours, faire appel à la raison (pour convaincre qqn); s'adresser à la raison de qqn. b) Qqc. choque, offense, insulte, outrage la raison; la raison commande, désapprouve, réprouve qqc., s'oppose à qqc. c) Jugement, langage, voix, yeux de la raison; (faire qqc.) au nom de la raison; (dépasser les, sortir des) limites de la raison; la droite, ferme, sage, saine, solide raison. d) Conforme, contraire à la raison. − [Avec la fonction de déterm.] Mariage de raison. Mariage dans lequel l'intérêt, les considérations matérielles, les convenances sociales priment le sentiment. Ce que le monde appelle un mariage de raison, c'est-à-dire un mariage où le cœur n'est pas plus consulté que les yeux (...) je l'appelle un mariage d'aliéné (Augier, Post-scriptum, 1869, p. 124).Il se marie, c'est vrai, mais je crois que ça, c'est plutôt un mariage de raison! et que celle qu'il a, comme on dit, dans la peau, c'est la petite qui était avec vous (Feydeau, Dame Maxim's, 1914, i, 21, p. 24).P. métaph. Les centristes expliquent en privé que Barre leur « pompe l'air ». « Broutilles, affirme un proche de Barre, ils ont beau s'envoyer des piques en permanence, ils sont d'accord sur le fond et ont besoin les uns des autres. C'est un mariage de raison par énervement mutuel. » (Le Nouvel Observateur, 3-9 nov. 1988, p. 55, col. 3). − Loc. diverses ♦ Contre toute raison. D'une manière complètement déraisonnable, contraire à la logique, au bon sens. Une preuve d'aveuglement des gens qui, contre tout bon sens et contre toute raison, préfèrent tout à l'aveu de l'iniquité commise (Affaire Dreyfus, 1899, p. 242).Quand un homme est en prison, au secret, incapable de se défendre, abandonné de tous parce que toute tentative pour le sauver serait vaine, il n'y a qu'une femme amoureuse qui puisse, contre toute raison, tenter quand même quelque chose... et réussir (Vailland, Drôle de jeu, 1945, p. 25). ♦ (Il faut, qqn sait, veut) raison garder. Rester dans les limites du bon sens, de la mesure, de la sagesse. [Philippe le Bel] jugea bientôt que cette affaire de Sicile était épuisante et sans issue et il s'efforça de la liquider avec avantage et avec honneur. Il appliquait déjà sa maxime: « Nous qui voulons toujours raison garder » (Bainville, Hist. Fr., t. 1, 1924, p. 76).Ce premier film d'une série d'« Histoires vraies », proposée par Pascale Breugnot, laisse bien augurer de la suite. Si toutefois les auteurs et réalisateurs savent, comme ce soir, raison garder en traitant la réalité avec réserve et surtout sans se croire obligés d'y mêler leurs propres commentaires (Le Figaro, 23 avr. 1987, p. 36, col. 5). ♦ Entendre raison. Se laisser convaincre de prendre un parti raisonnable. Puisque tu ne veux entendre raison, je saurai bien te soustraire à cette influence (Lacretelle, Silbermann, 1922, p. 145).V. entendre I B 2 a β ex. de Lacretelle.[Le plus souvent dans une tournure factitive] Faire entendre raison à qqn. Ils n'en pouvaient plus. Ils s'étaient emballés, disputés. L'un voulait retourner à Clermont pour sauver son Évelyne, l'autre ne parvenait pas à lui faire entendre raison. Ils avaient failli rompre, se quitter. Ils en étaient venus aux mains, aux coups (J. Lanzmann, Le Jacquiot, 1986, p. 185). ♦ Se rendre à la raison. Même sens. Voilà brièvement ce que j'avais à dire, Et si tu ne veux pas te rendre à la raison, Moi, je saurai du moins gouverner ma maison (Moréas, Iphigénie, 1900, i, 4, p. 34). ♦ Revenir à la raison. Revenir à une attitude raisonnable. Ce soir, le terrible facteur a jeté dans notre boîte une longue lettre d'un crétin grec, d'un idiot d'Athènes qui veut bien me faire des réprimandes historiques [à propos d'un article sur le sultan Abdul-Hamid] et me donner le conseil de revenir à la raison en lâchant une religion d'imposture (Bloy, Journal, 1903, p. 205). ♦ Parler raison (à qqn). Tenir des propos raisonnables; essayer de convaincre quelqu'un de prendre un parti raisonnable. Quand cette fille-là riait, il n'y avait pas moyen de parler raison. Tout le monde riait avec elle (Mérimée, Carmen, 1845, p. 60).[Le fermier:] C'en est encore deux des Combettes, qui ont une discussion à propos d'une borne (...) de père en fils, les Lenfant et les Yvonnot sont toujours à se chamailler (...). J'ai eu beau leur parler raison, vous les avez entendus, ils se mangent (Zola, Travail, t. 1, 1901, p. 118).P. ext. [Sans compl.] Devenir accommodant; revenir à une attitude raisonnable. Voilà parler raison. C'est parler raison cela (Ac.). ♦ Mettre qqn à la raison. Faire revenir quelqu'un à une attitude raisonnable, conforme au bon sens. Du ton qu'il eût pris pour mettre à la raison un enfant têtu: − Qu'avez-vous tous, toi et les autres? fit-il (Bernanos, Joie, 1929, p. 650).P. anal. Réduire quelqu'un par la force. Cette laide populace a été mise à la raison (Borel, Champavert, 1833, p. 70). ♦ Ramener, rappeler qqn à la raison. Faire revenir quelqu'un à une vision raisonnable, normale des choses. Il fallait que des gens (...) vinssent le rappeler à la raison, au présent, aux présences (Jacob, Cornet dés, 1923, p. 112).L'article d'information [dans la presse] reflète presque toujours le milieu où l'on a convié son auteur. Les erreurs sont imputables d'abord au théâtre. Ce qui ne veut pas dire qu'on ne doive pas ramener parfois à la raison l'amateur de scandale ou le diffamateur (Vilar, Tradition théâtr., 1963, p. 116). − En partic. [La raison en tant que faculté des grandes personnes et qui ne vient aux enfants que plus tard, progressivement] Croître en force et en raison; âge* de raison. Quelle jouissance que celle d'avoir des enfans, qui resserrent encore ces nœuds [entre un homme et une femme dans le mariage], que celle de les voir croître, et de guider leurs premiers pas, de développer leur raison! (Crèvecœur, Voyage, t. 2, 1801, p. 370).Sa petite, âgée de deux ans, une enfant (...) qui avait déjà de la raison comme une femme. On pouvait la laisser seule (Zola, Assommoir, 1877, p. 509). b) P. méton. Caractère de ce qui est conforme à la logique, au bon sens; signification raisonnable de quelque chose. Synon. sens.Cette critique, pleine de raison, de sel et d'esprit (Jouy, Hermite, t. 4, 1813, p. 38).Toutes les paroles de Jeanne [d'Arc] qui nous ont été transmises respirent la plus ardente pitié, mais sont empreintes aussi d'un bon sens exquis, d'une raison parfaite (Coppée, Bonne souffr., 1898, p. 147).Il n'y a pas un brin de raison dans tout ce que vous dites (Duhamel, Suzanne, 1941, p. 76): 4. Comment s'étonner si le public reste indifférent et froid devant des œuvres vides d'idées, trop souvent dépourvues de raison, et que l'on ne saurait estimer qu'au prix qu'elles ont coûté? « C'est fort cher, donc ce doit être beau. »
Viollet-Le-Duc, Archit., 1863, p. 450. − Loc. Sans rime* ni raison. 4. Le plus souvent en log. et dans le lang. des sc. [P. oppos. à l'intuition, à la connaissance intuitive] Intelligence en tant que source de l'activité conceptuelle et visant à la connaissance discursive; faculté qui ordonne discursivement les faits et les notions, qui démontre, qui calcule. En employant le mot raison (...), nous entendrons désigner principalement la faculté de saisir la raison des choses, ou l'ordre suivant lequel les faits, les lois, les rapports, objets de notre connaissance, s'enchaînent et procèdent les uns des autres (Cournot, Fond. connaiss., 1851, p. 21).Le savoir scientifique vaut pour tous, parce qu'il est en nous l'œuvre de ce qu'il y a de plus impersonnel, de ce qui est commun à tous: la raison (Lacroix, Marxisme, existent., personn., 1949, p. 97).V. intelligence I A 1 b ex. de Foulq.-St-Jean 1962, I A 1 d ex. de P. Guillaume, et ex. 16, 17: 5. Comment attribuerez-vous telle partie des connaissances humaines à la mémoire, à l'imagination, à la raison, si lorsque vous demandez par exemple à un enfant de démontrer sur une planche une proposition de géométrie, il ne peut y parvenir sans employer à la fois sa mémoire, son imagination et sa raison?
Condorcet, Organ. instr. publ., 1792, p. 466. − [En relation de type synon.] Raison raisonnante*, démonstrative, spéculative. La raison discursive (l'intelligence des rapports) (S. Weil, Pesanteur, 1943, p. 61). − [Avec la fonction de déterm.] Être de raison. V. être2II A. − [P. allus. littér. à Molière, Les Femmes savantes, ii, 7: Et le raisonnement en bannit la raison] V. raisonnement I A 1. − P. anal., notamment dans le domaine de la création artist. [P. oppos. à la sensibilité] Synon. de réflexion, logique, intelligence.La raison n'est, dans aucun art, l'ennemie de l'inspiration; elle en est, au contraire, le régulateur nécessaire et l'alliée la plus sûre (Viollet-Le-Duc, Archit., 1872, p. 109).Le mariage équilibré des sens et de la raison, cher aux méditerranéens (Huyghe, Dialog. avec visible, 1955, p. 136). 5. PHILOS. Faculté des principes. a) [S'oppose à l'expérience] Pouvoir de former les principes; p. méton., ensemble de ces principes, indépendants de l'expérience et que l'on peut connaître par le raisonnement, par la réflexion. Il n'en est pas d'un principe de jurisprudence, d'un axiome de la raison, comme d'un fait accidentel et contingent (Proudhon, Propriété, 1840, p. 201).Dans les thèses classiques [comme celles de Descartes et de Kant], se perpétuait une sorte d'équilibre instable entre l'homme comme liberté et l'homme comme raison, entre l'homme comme pur principe d'initiative et l'homme comme compréhension d'un ordre aperçu et accepté (F. Alquié, Solitude de la Raison, 1966 [1946], p. 11).V. absolu ex. 69, 76, 81: 6. Les Grecs ont parlé du dialogue comme du lieu où se pratique la Raison. Dans cet esprit, la logique du dialogue devrait déterminer l'épistémologie, la Raison qui se dévoile à elle-même, la première philosophie, toute la philosophie. Fidèle à cette tradition très occidentale, lorsque Hegel croyait trouver la Raison dans l'Histoire, il s'empressait de la décrire en termes dialogiques: l'Esprit du Monde se concrétise dans les institutions par une alternance de thèses, d'antithèses et de synthèses.
G. Dispaux, La Log. et le Quotidien, 1984, p. 8. − En partic. ♦ [Chez Kant] Raison ou raison pure ou raison spéculative ou raison théorique. Tout ce qui dans la pensée est à priori, indépendant de l'expérience (s'oppose à expérience); en partic., faculté qui ramène à l'unité les règles de l'entendement sous des principes, qui recherche l'inconditionné, qui prétend à la synthèse totale (s'oppose à expérience et à entendement). Les idées de la raison; les paralogismes de la raison pure. La faculté en nous, à laquelle se rapportent les principes marqués des caractères d'universalité et de nécessité, les principes purs a priori, est la raison, la raison pure (Cousin, Philos. Kant, 1857, p. 43).Un « fait de la raison » est un véritable monstre dans une philosophie comme la sienne [celle de Kant], où tout ce qui est « fait » appartient au monde des phénomènes, et tout ce qui est « raison » au monde intelligible (Lévy-Bruhl, Mor. et sc. mœurs, 1903, p. 58).Pour la raison spéculative, Dieu n'est pas un être ou un objet, mais d'abord un idéal, en ce sens qu'il représente l'unité suprême et stimule ainsi la tendance synthétique de l'esprit, puis une idée (Théol. cath.t. 4, 11920, p. 1262).Raison pure pratique ou raison pratique. Raison pure dans son usage pratique, c'est-à-dire en tant qu'elle détermine la volonté. Les postulats de la raison pratique. C'est par la loi que se révèle à nous la raison pure pratique, et cette loi a pour caractère d'exclure des maximes de la volonté toute règle qui repose soit sur l'expérience, soit sur une volonté extérieure, de ne laisser subsister pour elles d'autre règle que la forme objective d'une loi en général (V. Delbos, La Philos. prat. de Kant, 1926, p. 430).Établissant entre la raison théorique et la raison pratique une différence de niveau au profit de la seconde, il [Kant] privilégiait en un sens le fidéisme aux dépens du rationalisme (Lacroix, Marxisme, existent., personn., 1949, p. 96). ♦ [Chez Lalande] Raison constituante. Intelligence créatrice, intuitive, immuable, commune à tous. Raison constituée. Ensemble de règles, de principes, variables selon les personnes et selon les époques, sur lesquels se fondent nos raisonnements. Il faut distinguer dans la raison (...) la raison constituée et la raison constituante. − La première, certainement variable (...), est la raison telle qu'elle existe à un moment donné (Lalande, Raison et normes, 1948, p. 16).La raison constituée définit le piège où perpétuellement la raison constituante risque de se prendre au mot de sa propre sagesse (G. Gusdorf, Traité de Métaphys., 1956, p. 455). − P. anal. Ensemble des principes directeurs qui régissent une activité intellectuelle, notamment scientifique. Confronter, étape par étape, les exigences si rigoureuses de la raison historique avec la pratique, combien hésitante, incertaine ou aventurée, qui a été et demeure encore trop souvent celle des historiens (Marrou, Connaiss. hist., 1954, p. 235). b) [Le plus souvent avec adj.] Faculté de concevoir l'infini, l'absolu; p. méton., l'infini lui-même, la norme absolue (généralement identifiés à Dieu ou personnifiés par Dieu). Synon. absolu, logos, Verbe.Raison divine, première, suprême, éternelle, infinie. La souveraine raison, l'omni-science, et la suprême vérité, ne sont qu'une seule et même manière d'être (Bonald, Législ. primit., t. 1, 1802, p. 269).Les stoïciens interprètent l'ordre social comme un aspect de la raison universelle qui régit le monde (Hist. sc., 1957, p. 1557).V. intelligence I A 1 d ex. de Cournot, logos A 1 ex. de Maine de Biran: 7. Les choses créées sont la splendeur de l'idée immuable que le Père engendre et qu'il aime sans fin: idée, raison, Verbe sacré, lumière qui (...) rayonne de créatures en créatures, de causes en effets, jusqu'à ne plus produire que des phénomènes contingens et passagers...
Ozanam, Philos. Dante, 1838, p. 197. ♦ (Théorie de la) raison impersonnelle*. 6. PHILOS., HIST. DES IDÉES. Raison (naturelle) (s'oppose à la foi en tant que source de la connaissance révélée). Principe universel, source de toute connaissance véritable, juste. Vouloir déprimer l'orgueil de la raison pour relever le bienfait de la révélation (Bonald, Législ. primit., t. 1, 1802, p. 50).Le concile a défini que l'homme en général, c'est-à-dire l'homme qu'étudie la philosophie, est constitué de telle sorte que par sa raison naturelle il peut connaître Dieu avec certitude (Théol. cath.t. 4, 11920, p. 864): 8. C'est fatalement que l'humanité cultivée a brisé le joug des anciennes croyances; elle a été amenée à les trouver inacceptables; est-ce sa faute? Peut-on croire ce que l'on veut? Il n'y a rien de plus fatal que la raison.
Renan, Avenir sc., 1890, p. 333. − [Au xviiies., éventuellement avec une majuscule, la raison considérée comme idéal de progrès intellectuel, moral, scientifique visant le bonheur de l'humanité] Le triomphe, le règne de la raison; le flambeau, les lumières de la raison; le siècle de la raison. Le vaisseau de la raison doit avoir son gouvernail: c'est la saine politique (Danton, 1793ds Doc. hist. contemp., p. 66).D'autres valeurs de guerre permirent à la Raison de remplacer l'absolu par l'exaltation: le peuple, la nation, qui, dans le combat au moins, sont aussi des communions (Malraux, Voix sil., 1951, p. 480).Malgré tant de schémas qui glorifient en cette époque [la première moitié du XVIIIe s.] « l'âge de la raison » et le triomphe d'un discours qui théorise le vaste champ du savoir, un certain enchantement naît d'une sensibilité toute neuve qui, déjà, s'exacerbe en développant une métaphysique du sentiment et des ombres (L. Jerphagnon, Hist. des gdes philos., 1980, p. 203). ♦ [La Raison divinisée sous la Convention en 1793] Déesse* de la Raison. Lorsque la République aura institué le culte de la Raison, vous ne refuserez pas votre adhésion à une religion si sage (A. France, Dieux ont soif, 1912, p. 79).Une « fête de la Liberté » était prévue le 20 brumaire (10 novembre): afin de célébrer la victoire de la philosophie sur le fanatisme, la Commune s'empare de Notre-Dame; une montagne s'édifie dans le chœur; une actrice personnifie la Liberté; la Convention, mise au courant, se rend à la cathédrale, baptisée « temple de la Raison », et assiste à une nouvelle célébration de la fête civique (Lefebvre, Révol. fr., 1963, p. 377). − [Notamment dans des ouvrages didact. de sc. hum., gén. suivi d'un adj., la raison en tant que norme de pensée collective] Ensemble des idées morales et politiques, des faits relatifs aux sciences et aux arts, propre à une époque, à un pays, à une civilisation. Synon. culture, civilisation.Raison moderne. Avant de détourner nos regards de Kant, remarquons que c'est beaucoup d'avoir dit que l'homme n'est pas fait seulement pour apprendre, qu'il n'agit pas uniquement en vertu de ce qu'il sait, mais qu'il recèle en lui des pouvoirs qui lui communiquent des impulsions. Nous trouvons là un des jalons qui marquent les progrès de la philosophie jusqu'au point culminant où la phrénologie a permis d'établir cette science sur des bases solides et conformes à la raison contemporaine (Broussais, Phrénol., leçon 1, 1836, p. 23).Les formes de sensibilité que l'art d'Extrême-Orient exprime sont entrées si avant dans la raison occidentale, qu'elles déterminent aujourd'hui l'un des aspects les plus splendides de son symbolisme régénéré (Faure, Hist. art, 1921, p. 228). B. − [En constr. syntagm. ou dans des loc.] Ce qui s'accorde avec ce mode de pensée. 1. [P. oppos. à tort, exprime qu'une pensée ou qu'un acte est conforme à une norme de vérité] ♦ À raison. En étant dans le vrai; sans se tromper. Il faudra trois jours à un spécialiste pour parvenir à ouvrir ce coffre blindé, réputé − à raison − inviolable (Le Figaro, 6 mars 1987, p. 9, col. 2).À tort* ou à raison. ♦ Avoir raison (de faire qqc.). Être fondé à penser ou à agir comme on le fait. Avoir bien, infiniment, joliment, parfaitement, mille fois raison (de faire qqc.). Ce que vous n'avez pas voulu pour vous, ce que vous avez eu raison de repousser (Gambetta, 1873ds Fondateurs 3eRépubl., p. 300).La doctrine la plus moderne a respecté cet illogisme apparent, et elle a eu raison (Vedel, Dr. constit., 1949, p. 7).[Le plus souvent dans des propos rapportés au style dir.] Avoir raison (contre qqn). Être dans le vrai, voir juste (sur un point particulier). Vous aviez raison, monsieur, cette fille était un ange. Tenez, me dit-il, lisez cette lettre (Dumas fils, Dame Cam., 1848, p. 33).[Sénèque] affirme que la postérité s'étonnera que son âge ait méconnu des vérités si palpables. Il avait raison contre le genre humain tout entier, ce qui équivaut à peu près à avoir tort (Flammarion, Astron. pop., 1880, p. 617).En partic., fam. Avoir le dernier mot dans une discussion. Il arrive que l'exercice du commandement absolu, l'habitude d'avoir toujours raison à tout prix, pervertisse certains esprits et les pousse à s'arroger l'omnipotence dans l'État (Clemenceau, Vers réparation, 1899, p. 235): 9. − Vous êtes d'une incroyable imprudence, reprit le comte avec aigreur, vous l'exposez [un enfant malade] au froid de la rivière et l'asseyez sur un banc de pierre. − Mais, mon père, le banc brûle, s'écria Madeleine. − Ils étouffaient là-haut, dit la comtesse. − Les femmes veulent toujours avoir raison! dit-il en me regardant.
Balzac, Lys, 1836, p. 67. ♦ Donner raison à qqn (contre qqn). Approuver son point de vue ou sa conduite. Elle confessait sa mobilité et la facilité de caractère qui la porte à donner toujours raison au dernier qui lui parle (Delacroix, Journal, 1854, p. 149).Lui donner raison [à la bonne] contre sa femme, était (...) impossible (Maupass., Contes et nouv., t. 2, M. Parent, 1886, p. 589).En partic. [Le suj. désigne un fait, un phénomène] Correspondre aux options, aux prédictions d'une personne. Les désastreux progrès de l'érosion des sols sur les pentes parfois infimes des plaines américaines semblent avoir donné raison aux tenants des champs perpendiculaires à la pente (Meynier, Paysages agraires, 1958, p. 92). 2. [Exprime qu'une pensée ou qu'un acte est équitable, conforme à une norme, à une juste mesure] ♦ Comme de raison. Comme il est juste, normal, comme il convient (de procéder dans un cas précis). Léon [Daudet] donne le bras à son père, qui a besoin d'être soutenu; moi, comme de raison, j'offre mon bras à MmeDaudet (Goncourt, Journal, 1894, p. 702).Il a dit tout à coup au boss qu'il allait partir pour venir passer les fêtes au lac Saint-Jean (...). Le boss ne voulait pas, comme de raison; quand les hommes se mettent à prendre des congés de dix et quinze jours en plein milieu de l'hiver, autant vaudrait casser le chantier de suite (Hémon, M. Chapdelaine, 1916, p. 138). ♦ Plus que de raison. Plus qu'il est juste, normal, convenable ou sage. Ça c'est vrai que vous êtes changée, madame Jeanne, et plus que de raison (Maupass., Une Vie, 1883, p. 223).Une race militaire, plus sensible que de raison au prestige physique d'une haute taille (Ambrière, Gdes vac., 1946, p. 320). ♦ Vieilli. C'est (bien) raison que. C'est (bien) juste, normal, naturel que. C'est bien raison que chacun soit maître chez soi (Ac.). − Dans le lang. jur. ♦ À telle fin que de raison. [Indique que ce qu'on fait peut être utile sans préciser à quoi] Synon. de à toutes fins utiles (v. fin1B 1).L'imposture est visible; peu de personnes, je crois, y ont été trompées. Cependant je vous prie, à telle fin que de raison, de vouloir bien déclarer que cet écrit n'est pas de moi (Courier, Pamphlets pol., À réd. Courrier français, 1823, p. 200). ♦ (Pour valoir, pour servir, pour être ordonné) ce que de raison. Pour valoir, pour servir, pour être ordonné ce qui sera conforme à la justice, à l'équité. (Dict. xixeet xxes.). − Vieilli. Raison écrite. Droit romain considéré comme modèle du droit rationnel. Depuis que Rome ne commandait plus au monde par l'épée des légions, elle le régentait avec deux textes, le droit canonique et le droit romain. Elle recommandait ce droit non-seulement comme vérité, comme raison écrite, mais aussi comme autorité. Elle lui cherchait une légitimité dans l'ancienne domination de l'Empire, dans son histoire (Michelet, Hist. romaine, t. 1, 1831, p. i). II. − Sens objectif, souvent au plur., notamment sous infra II A 2 et 3. A. − 1. Ce qui rend compte d'un fait, d'un phénomène. Synon. cause, explication, origine, fondement, (le) pourquoi, principe. a) Notamment en philos., et dans le lang. des sc. Chercher, donner, fournir, trouver la raison exacte, la principale raison d'un phénomène, une raison satisfaisante à un événement; analyser, comprendre, expliciter, ignorer les raisons de quelque chose. Vous êtes-vous demandé la raison du charme qu'on trouve parfois à fouiller ces annales de la luxure [les estampes libertines], enfouies dans les bibliothèques ou perdues dans les cartons des marchands (...)? (Baudel., Salon, 1846, p. 132).Les recherches qui ont été faites sur l'Allemagne nazie et les raisons profondes de l'hitlérisme (Traité sociol., 1968, p. 412).V. supra I A 4 ex. de Cournot: 10. Nous ne pouvons nous contenter de formules simplement juxtaposées et qui ne s'accorderaient que par un hasard heureux; il faut que ces formules arrivent pour ainsi dire à se pénétrer mutuellement. L'esprit ne sera satisfait que quand il croira apercevoir la raison de cet accord, au point d'avoir l'illusion qu'il aurait pu le prévoir.
H. Poincaré, Mécan. nouv., Mém., 1905, p. 21. ♦ Raison d'être (de qqc.). V. être11reSection II A 2. ♦ Raison dernière ou dernière raison (des choses). Explication parfaite. Les sciences positives prétendraient vainement saisir l'essence divine ou raison dernière des choses (E. Boutroux, Contingence, 1874, p. 154). − HIST. DE LA PHILOS. [Chez Leibniz et chez ses héritiers] (Principe de la) raison suffisante. Principe selon lequel tout ce qui arrive a une cause, une raison d'être à priori. [Leibnitz] entreprenait de rattacher toute sa doctrine au principe de la raison suffisante, c'est-à-dire à cet axiome: qu'une chose ne peut exister d'une certaine manière s'il n'y a une raison suffisante pour qu'elle existe de cette manière plutôt que d'une autre (Cournot, Fond. connaiss., 1851, p. 32). − Didact. [Avec adj. indiquant la nature de la cause] Il n'existe pas de raison climatique apparente qui expliquerait pourquoi ces indigènes [australiens] ont la peau si foncée et le nez si large (Haddon, Races hum., trad. par A. Van Gennep, 1930, p. 280).La segmentation des sociétés primitives en un grand nombre de petits agrégats particuliers, reposant sur le sexe, l'âge, des raisons économiques, magiques ou religieuses (Hist. sc., 1957, p. 1582). b) Dans des loc., dans le lang. cour. ♦ Demander raison de qqc. à qqn. Demander l'explication de quelque chose. Ses deux enfants [de madame Willemsens] trottaient à travers le clos, grimpaient sur les terrasses (...) ils admiraient des graines, des fleurs, étudiaient des insectes, et venaient demander raison de tout à leur mère (Balzac, Grenadière, 1842, p. 238). ♦ Faire raison de qqc. Donner l'explication d'un phénomène. [Mon père] faisait raison de la baleine de Jonas, du haut de ses certitudes biologiques (Aymé, Vaurien, 1931, p. 17).Faire raison de qqc. à qqn. [Par recoupement de infra II B 1] Rendre compte de ce qu'on fait. Tout mandataire est tenu de rendre compte de sa gestion, et de faire raison au mandant de tout ce qu'il a reçu en vertu de sa procuration (Code civil, 1804, art. 1993, p. 358). ♦ Se faire une raison. [Gén. dans des propos rapportés au style dir.] Fam. Accepter une situation, fût-ce à contre-cœur, dès l'instant qu'on n'y peut rien changer. Synon. se résigner.Si vous vouliez faire de ma fille une couveuse, il fallait le dire [dit madame Fitz-Gérald à son gendre] (...). Au reste, il paraît que ça lui convient. − Ça ne me convient pas, maman, dit madame de Rias, mais je me fais une raison! (Feuillet, Mariage monde, 1875, p. 118).Allons, la patronne, disait un ouvrier, faut vous faire une raison, votre boîte, elle est vieille (Dabit, Hôtel Nord, 1929, p. 240). ♦ Rendre raison de qqc. (à qqn). Donner, fournir une explication rationnelle de quelque chose. Ce fait [la chute, le péché] dont il s'agit de rendre raison (Proudhon, Syst. contrad. écon., t. 1, 1846, p. 344).[Charles et Claude Perrault et leurs amis] prièrent leur frère le docteur de leur rendre raison de cette question si obscure [de la Grâce] (Sainte-Beuve, Caus. lundi, t. 5, 1851, p. 257).[Fréq. avec nom de chose comme suj.] Toute la suite des faits qui composent sa vie [de Jeanne d'Arc] ne nous rendent pas complètement raison de son héroïsme (Barrès, Mystère, 1923, p. 180).Le hasard ne peut rendre raison de l'anti-hasard (Ruyer, Cybern., 1954, p. 139).[Par recoupement de infra II B 1] Rendre des comptes; se justifier. On veut que le désert ait été pour lui [Jésus] une autre école (...). Mais le Dieu qu'il trouvait là n'était pas le sien. C'était tout au plus le Dieu de Job, sévère et terrible, qui ne rend raison à personne (Renan, Vie Jésus, 1863, p. 72). 2. Ce qui légitime, justifie une manière d'être, d'agir ou de penser. Synon. mobile, motif.Les premiers petits succès qu'on a, nous donnent une joie infinie (...) parce qu'on acquiert des raisons de s'estimer soi-même (Stendhal, Corresp., 1808, p. 321).Être jolie et avoir dix-huit ans, ce sont de fortes raisons d'optimisme (R. Bazin, Blé, 1907, p. 133): 11. La peine d'Olivier s'atténuait; mais il ne faisait rien pour cela, il s'y complaisait presque: ce fut pendant longtemps sa seule raison de vivre.
Rolland, J.-Chr., Buisson ard., 1911, p. 1256. SYNT. a) Raison d'un acte, d'une attitude, d'un choix, d'une colère, d'une conduite, d'une démarche, d'un échec, d'un refus; raison d'agir, d'espérer. b) [Le plus souvent au plur.] Connaître, savoir les raisons de qqn; indiquer, donner ses raisons à qqn; s'inventer des raisons; avoir, se trouver cent, mille raisons de faire qqc.; se sentir toutes les raisons du monde de faire qqc.; des raisons qui amènent, conduisent, déterminent, obligent qqn à faire qqc., empêchent qqn de faire qqc.; les raisons qui tiennent à qqc., échappent à qqn. ♦ Raison + adj. déterminatif indiquant son degré de vérité, de crédibilité ou son intensité.Raison acceptable, (peu) avouable, contestable, plausible, valable; raison bizarre, cachée, confuse, évidente, frappante, futile, grave, impérieuse, majeure, obscure, patente, précise, tangible; fausse, forte, puissante, solide raison. Lorsqu'elle avait de bonnes raisons, elle les donnait plutôt que d'en inventer de mauvaises (A. France, Putois, 1904, p. 60).V. supra ex. de R. Bazin: 12. Son état d'esprit devint semblable à celui d'un homme surpris à l'aube par son unique maîtresse dans le lit d'une fille ignoble, et qui ne pourrait pas s'expliquer à lui-même comment il a pu se laisser tenter la veille. Il ne trouvait ni excuse, ni même une raison sérieuse.
Louÿs, Aphrodite, 1896, p. 100. Expr. Ce sont de mauvaises raisons. Ce sont des prétextes. Mademoiselle de Mussy : (...) Pourquoi n'aidez-vous pas votre fille de boutique, au lieu de faire des jabots? Est-ce que j'ai besoin de jabots, moi? Madame Mairet : On ne peut pas travailler à deux sur votre garniture. Mademoiselle de Mussy : Ce sont de mauvaises raisons que cela. J'ai vu quelquefois chez mademoiselle Juliette plus de cinq ouvrières occupées à la même robe (Leclercq, Prov. dram., Mariage manqué, 1835, 5, p. 78).♦ Raison + adj. déterminatif ou, plus rarement, compl. prép. de indiquant son origine ou sa cause.Raison administrative, disciplinaire, humanitaire, matérielle, officielle, particulière, tactique, technique, utilitaire. Il y avait eu (...), pour faire l'expédition [la grande expédition de Tadémaït], des raisons diplomatiques, des raisons que les gens qui savent se racontent à Paris, en déjeunant (Mille, Barnavaux, 1908, p. 136).[Des candidats à une formation] peuvent cependant exprimer, dans leur demande, une préférence pour une autre désignation, à condition de la motiver (raisons de famille, facilités de logement) (Encyclop. éduc., 1960, p. 367). − Loc. et expr. ♦ Raison d'État. Principe selon lequel le salut de l'État prime toutes les normes de la société y compris celles de la morale et du droit. Faire intervenir, objecter la raison d'État; arguer de la raison d'État (pour); agir au nom de la raison d'État; condamner pour raison d'État. Messieurs, j'examine la raison d'état (...) Marat l'invoquait aussi bien que Louis XI; elle a fait le deux septembre après avoir fait la Saint-Barthélemy; (...) c'est elle qui a dressé les guillotines de Robespierre et c'est elle qui dresse les potences de Haynau! (Hugo, Actes et par., 1, 1875, p. 349).La raison d'État, le « fait du prince » (Farrère, Homme qui assass., 1907, p. 39): 13. ... la raison d'État n'est pas autre chose que le mensonge invoqué pour la protection des castes fondées sur l'exploitation de la patrie, contrairement à l'intérêt général de tous les Français, qui, après tout, constituent la France elle-même, la France de pensée, la France d'action, la France d'idéal.
Clemenceau, Vers réparation, 1899, p. 61. P. méton., rare, au plur. Motifs invoqués au nom de la raison d'État. Elle ne serait pas la première que les terribles raisons d'État auraient fait trembler et pleurer (A. Daudet, Rois en exil, 1879, p. 312).Au fig. Les sots croient que plaisanter, c'est ne pas être sérieux, et qu'un jeu de mots n'est pas une réponse (...) il est de leur intérêt qu'il en soit ainsi. C'est raison d'État, il y va de leur existence (Valéry, Tel quel I, 1941, p. 46).P. anal. Raison(s) de famille. C'est une raison de famille qui a fait ce mariage (Ac.).♦ Raison d'être (d'une pers.). V. être11reSection II A 2. ♦ Raison de plus pour + inf.; p. ell., raison de plus! [Dans des propos rapportés au style dir., sert à enchérir sur un argument] Éva: Voici une belle occasion... mon séjour ici, ne fût-il que de quinze jours... Le Prince: Comment quinze jours? Nous sommes convenus d'un mois! Éva: Raison de plus!... Ce séjour est préjudiciable à mes intérêts (Sardou, Rabagas, 1872, iv, 4, p. 174).− C'est très difficile de trouver une chambre à Chicago, dit-il. − Raison de plus pour en chercher une tout de suite (Beauvoir, Mandarins, 1954, p. 312). ♦ À raison de + subst. Pour un motif précisé, explicite. Un taupin, dans la mauvaise acception du terme, est esclave de l'algorithme dont il se croit maître à raison de sa seule virtuosité technique (Gds cour. pensée math., 1948, p. 342).Le Président de la République ne peut pour les actes de sa fonction être poursuivi à raison de crimes ou de délits, sauf si ceux-ci offraient matière à l'accusation de haute trahison (Vedel, Dr. constit., 1949, p. 430).[Avec valeur causale seule, par recoupement de supra II A 1] J'ai peur de cette justice qui ne vaut pas mieux que la nôtre, et où votre adversaire a des intelligences, à raison de ses anciennes fonctions (Balzac, Lettres Étr., t. 2, 1842, p. 77).Le préfet de police [à Paris] exerce aussi des attributions de police judiciaire normalement confiées aux préfets (...) à raison de l'abondance et de la multiplicité des cas de criminalité dans la région parisienne (Belorgey, Gouvern. et admin. Fr., 1967, p. 406).À raison de + pron. À raison de quoi (vieilli). On l'accusait (...) d'avoir en même temps offensé la personne du roi, et, de ce non content, provoqué à offenser ladite personne. À raison de quoi Jacquinot proposait de le mettre en prison et l'y retenir douze années (Courier, Pamphlets pol., Procès, 1821, p. 91). ♦ En raison de + subst. [Par recoupement de supra II A 1] Synon. de à cause de ou, p. ext., synon. de en considération de, eu égard à, vu.Sous la monarchie constitutionnelle et surtout sous l'empire de la constitution de 1848, la loi tendait à les composer [les conseils institués pour servir d'organes au public] de membres élus ou qui étaient appelés, de droit, en raison de fonctions particulières dont ils étaient investis (Vivien, Ét. admin., t. 1, 1859, p. 83).Le métal le plus convenable pour le doublage des navires est le cuivre, mais en raison de son prix élevé on le remplace souvent par le laiton, la tôle galvanisée ou le zinc en feuilles (Bourde, Trav. publ., 1929, p. 217).Le pin maritime, qui a un assez grand nombre de partisans, en raison de (...) la facilité de la reprise des plantations et des semences dans les sols arides, de la rapidité de sa croissance (Forêt fr., 1955, p. 36). ♦ À plus forte raison. V. fort1III B 1. ♦ Avec (juste, quelque) raison. Avec un motif légitime ou (par recoupement de supra I B 1) en étant fondé (à faire ce qu'on fait, à dire ce qu'on dit), sans se tromper. Buridan: Le roi a appris avec peine les massacres qui désolent sa bonne ville de Paris; il suppose avec quelque raison, que les meurtriers se réunissent à la tour de Nesle (Dumas père, Tour Nesle, 1832, iv, 7etabl., 10, p. 81).On a dit avec raison que la base de la société chinoise est la famille (Vidal de La Bl., Princ. géogr. hum., 1921, p. 204).V. juste I A 2 b ex. de Courier. ♦ Sans raison. Sans aucun motif ou sans motif apparent. Quand la taxe varie avec elle [la loi, le règlement], c'est de la justice, mais quand la taxe ne change pas, que l'impôt s'élève ou s'abaisse sans raison, c'est de l'arbitraire (E. de Girardin, 1847ds Pradelle, Serv. P.T.T. Fr., 1903, p. 165).[Également fréq. dans les tours sans raison aucune, non sans raison, non sans quelque raison] Et (...) la presse de recommencer ses incursions contre le pouvoir, l'accusant, non sans raison du reste, ici de favoritisme, là de routine (Proudhon, Syst. contrad. écon., t. 1, 1846, p. 293).[Avec valeur causale seule, par recoupement de supra II A 1] Parfois (...) l'enfant qui se plaint d'avoir mal à la tête se met à vomir sans raison (Quillet Méd.1965, p. 360). ♦ Pour ou, plus rarement, par la/cette raison que + ind. Pour un motif précis, explicite ou (par recoupement de supra II A 1, avec simple valeur causale) synon. de parce que, à cause de, puisque. Par cette seule raison que, pour la simple, la bonne, l'excellente raison, la raison évidente que. Elle n'aurait pas eu de grâce (...) que j'en serais toujours devenu amoureux, par la raison que j'avais dix-huit ans, que mon cœur était affamé (Gobineau, Pléiades, 1874, p. 37).C'est de ce point de vue et pour cette raison [l'exactitude dans la description des phénomènes sociaux] que les grands romans [de Balzac et de Hugo notamment] de ce temps [le XIXes.] peuvent être considérés comme d'importants documents d'histoire sociale (Traité sociol., 1967, p. 300). ♦ Le plus souvent au plur. Pour ou, plus rarement, par une/des raison(s) + adj. déterminatif ou + de suivi d'un subst. Pour raison médicale; pour raison de santé*; pour des raisons pratiques; pour des raisons de commodité, de convenances personnelles, d'efficacité, d'hygiène, d'opportunité, de sécurité, de service. Si, par une raison d'économie, on ne peut faire un canal de drainage, faut-il au moins descendre les fondations du mur d'amont plus bas que celles du mur d'aval (Viollet-Le-Duc, Archit., 1872, p. 21).Des enfants dont la situation est particulière pour des raisons physiologiques, psychiques, sociales ou familiales (Encyclop. éduc., 1960, p. 88).[Sert à exprimer l'idée de la multiplicité des motifs d'un acte ou des causes d'un phénomène, sans obligatoirement les préciser] Pour diverses, maintes raisons; pour une quantité, (tout) un tas de raisons; pour de multiples raisons; pour toute une série, toutes sortes de raisons; pour bien des raisons; pour telle et telle raison; pour cette raison et pour beaucoup, bien d'autres. Je ne puis rester ici par une foule de raisons (Balzac, Cous. Bette, 1846, p. 318).Si jamais, pour une raison quelconque, il y avait conflit entre l'Allemagne et l'Angleterre (Affaire Dreyfus, 1899, p. 257).Il existe sur le papier des clubs [d'athlétisme] qui ne sont pas viables, pour des raisons variées, alors que certains centres populeux n'ont jamais songé à former une société (Jeux et sports, 1967, p. 1246). ♦ Pour une raison ou pour une autre. Pour un motif quelconque dont l'importance n'est pas précisée. Et si ma femme, pour une raison ou pour une autre, télégraphiait (Gyp, Souv. pte fille, 1928, p. 10). ♦ Pour une raison ou des raisons à qqn connue(s); pour une/des raison(s) à moi/à lui connue(s). Pour un motif précis que je ne peux/qu'il ne peut communiquer. Pour des raisons à moi connues, je désirerais avoir des renseignements certains sur un étranger de distinction qui se trouve actuellement à Paris (Ponson du Terr., Rocambole, t. 3, 1859, p. 385).Le 30 juillet, après la défection des troupes royales, alors que le feu avait partout cessé et que le drapeau tricolore flottait sur les Tuileries, notre homme mit le nez dehors et désira se rendre, pour une raison à lui connue, au coin de la Bastille et du faubourg Saint-Antoine (A. France, Pt Pierre, 1918, p. 185).Pour raison à vous connue. ,,Pour un sujet, pour un motif que je n'ai pas besoin de vous dire`` (Ac.). Je n'en dirai pas davantage, pour raison à vous connue (Ac.). ♦ Pour raison de quoi. [Par recoupement de supra II A 1] Synon. de à cause de quoi. (Dict. xixeet xxes.). ♦ Avoir ses raisons (de + inf.). Savoir pourquoi on fait quelque chose sans se sentir obligé de communiquer ses motifs. Ne touchez pas au texte. Si l'auteur a écrit ça, c'est qu'il a ses raisons (Renard, Journal, 1900, p. 571).Tchen pouvait avoir ses raisons de se taire (Malraux, Cond. hum., 1933, p. 188).Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas. V. cœur II A 3. ♦ Ce n'est pas une raison pour + inf. ou pour que ou il n'y a pas de raison pour + inf. ou pour que. Ce n'est pas un (ou il n'y a pas de) motif suffisant pour + inf. ou pour que. Il s'agit souvent de construire à grands frais un canal de plusieurs kilomètres pour porter de l'eau à trente ou quarante propriétaires possédant à eux tous 200 ou 300 hectares et devant retirer chacun de l'opération un bénéfice immédiat et réalisable de plusieurs milliers de francs. Vraiment il n'y a pas de raison pour que tous les contribuables de France ne réclament pas des cadeaux de ce genre (Chardon, Trav. publ., 1904, p. 165).L'histoire n'est pas encore telle qu'elle devrait être. Ce n'est pas une raison pour faire porter à l'histoire telle qu'elle peut s'écrire le poids d'erreurs qui n'appartiennent qu'à l'histoire mal comprise (M. Bloch, Apol. pour hist., 1944, p. 27).Fam. Ce n'est pas une raison! Oh, oh, mon ami, voici une charge qui est bien mal installée! Vous êtes nouveau venu au régiment, c'est vrai, mais ce n'est pas une raison! (Courteline, Train 8 h 47, 1888, 1repart., 2, p. 22). 3. Gén. au plur. a) Argument pour convaincre, preuve pour démontrer, notamment dans le cours d'une discussion. Raison pertinente, péremptoire, probante; de sottes raisons; énoncer, énumérer, étaler, exposer ses raisons; être ébranlé par les raisons de qqn. Nous ne disputons pas, nous ne réfutons personne, nous ne contestons rien, nous acceptons comme bonnes toutes les raisons alléguées en faveur de la propriété (Proudhon, Propriété, 1840, p. 153).Elle était très maternelle, elle trouvait des raisons très convaincantes (Zola, Ventre Paris, 1873, p. 695): 14. M. Marc Ribert m'enseignait que Racine était une perruque et une vieille savate. J'embrassai cette opinion aveuglément parce qu'elle était contraire à celle de M. Bonhomme, mon professeur. C'était pour moi une raison décisive.
A. France, Vie fleur, 1922, p. 374. − Loc. et expr. ♦ Entrer dans les raisons de qqn. ,,Admettre son point de vue; se laisser convaincre`` (Rob.). ♦ Se rendre aux raisons de qqn. Être convaincu par ses arguments. Je ne puis contester ces avantages (...), je me rends à vos raisons; (...) je me décide définitivement à continuer l'usage de mon fusil à pierre (La Hêtraie, Chasse, vén., fauconn., 1945, p. 165). ♦ Comparaison* n'est pas raison. ♦ La raison du plus fort est toujours la meilleure. V. fort2I B. ♦ Fam. [Dans des propos rapportés au style dir.; exprime l'irritation d'une personne face aux objections incessantes de son interlocuteur] Pas de raisons! Pas tant de raisons! − (...) mais (...) vous allez abîmer votre châle... − Pas tant de raisons!... la terre est fraîche − dit la Louve (Sue, Myst. Paris, t. 9, 1843, p. 168).− « D'abord qui êtes-vous, pour que je vous dresse procès? » Pécuchet se rebiffa, criant à l'injustice. − « Pas de raisons! Suivez-moi! » (Flaub., Bouvard, t. 1, 1880, p. 87). b) P. ext., dans des loc. figées, vieilli
α) Propos, arguments (pour plaider sa cause). Un pèlerin agenouillé près d'elle [une jeune femme] lui chuchote à l'oreille de galantes raisons [dans l'Embarquement pour Cythère] (Gautier, Guide Louvre, 1872, p. 178). ♦ Dire ses raisons à qqn. Dire ce qu'on a sur le cœur. C'était là qu'elle allait souvent dire ses raisons au bon Dieu, parce qu'elle n'y était pas dérangée et qu'elle pouvait s'y tenir cachée derrière les grandes herbes folles (Sand, Fr. le Champi, 1848, p. 79).
β) Fam. [Le plus souvent dans des propos rapportés au style dir.] Discussion qui s'envenime; querelle. ♦ Avoir des raisons (avec qqn). Avoir un démêlé, une altercation avec quelqu'un. Synon. avoir des paroles (v. parole II A).Le vieux Claude en me voyant s'était levé, devinant à ma tête que j'allais encore avoir ce qu'il appelait « des raisons » (Gyp, Pot de réséda, 1892, p. 219).Un laquais parut. C'était le jeune fiancé qui avait eu des raisons avec le concierge, jusqu'à ce que la duchesse, dans sa bonté, eût mis entre eux une paix apparente (Proust, Guermantes 1, 1920, p. 587). ♦ Chercher des raisons à qqn. Chercher querelle. Madame Laure: (...) Ils sont creux vos radis. Crainquebille: Aujourd'hui, vous me cherchez des mauvaises raisons. Vous êtes mal réveillée (A. France, Crainquebille, 1905, 1ertabl., 2).C'est Paul Flan, qui me cherche des raisons, à cause de mon absence de trois jours (L. Daudet, Entremett., 1921, p. 81).Empl. pronom. réfl. indir. − (...) On ne te bat donc pas? − Si quelquefois (...). Mon père en est tout embêté, et ils se cherchent des raisons avec ma mère (Vallès, J. Vingtras, Enf., 1879, p. 175). 4. Constr. en loc. Satisfaction que l'on demande, que l'on obtient; réparation d'un tort. a) Avoir raison de qqn. Vaincre sa résistance; triompher de lui au cours d'une lutte (avec ou sans violence physique) ou dans le cadre d'une compétition. Ah! la Providence me prépare une vieillesse bien triste, entre l'ingratitude et la révolte de tous les miens... Du reste, mes petits amis, il ne faudrait pas croire que vous aurez raison de moi par des moyens pareils (Miomandre, Écrit sur eau, 1908, p. 188).[Le lieutenant:] Ça chauffe, et bien. Les Franzoses résistent avec courage, mais les nôtres en auront raison (L. Daudet, Ciel de feu, 1934, p. 186): 15. Il eut beau danser et regarder de travers, ainsi qu'on le disait, Polycarpe Balandrin de Lyon [un lutteur] ne fut pas assez grand pour avoir raison du « petit crapaud d'Espagne », qui le battit en un clin d'œil et fit ensuite mordre coup sur coup la poussière aux trois autres furibonds: Simplice Agné, Kapdal et l'Anglais Hill, encore intacts.
Cladel, Ompdrailles, 1879, p. 65. − Au fig. Avoir raison d'un caprice, de la routine. J'aime et j'admire au delà de toute expression les personnes qui, par leur esprit d'à-propos (...) ont raison de la bêtise des choses et de la méchanceté des hommes (Courteline, Client sér., Ami des lois, 1894, p. 201).Personne n'a jamais eu raison de la terreur d'un enfant (Bernanos, M. Ouine, 1943, p. 1452). − Vieilli. Avoir raison d'une offense. En obtenir réparation (par un duel). Francisque lui montrant un ordre: L'ordre est signé par elle [la vice-reine] de vous tenir chez vous jusqu'à l'heure où le secrétaire pourra vous parler. Mes gens sont en bas qui attendent. Lopez: J'aurai raison d'une telle offense; je vous suis (Lemercier, Pinto, 1800, iii, 13, p. 101). − [Le suj. désigne une chose] Ce fut la faim et la névrose, qui finalement eurent raison de ce brave garçon (Verlaine,
Œuvres compl., t. 4, L. Leclercq, 1886, p. 153).Son indifférence a eu raison de moi et peut-être de mon amour (J. Bousquet, Trad. du sil., 1936, p. 202). ♦ P. anal. [L'obj. désigne une chose] Venir à bout de quelque chose. L'air vif de la nuit, quelques ablutions à la pompe de la cour eurent vite raison de ce petit malaise (A. Daudet, Nabab, 1877, p. 27).Le bois est un des matériaux qui résiste le moins à l'injure du temps. L'eau, le feu, les transports ont eu vite raison des rares spécimens [de mobilier français du haut moyen âge] qui auraient pu nous parvenir (Viaux, Meuble Fr., 1962, p. 31). b) Vieilli
α) Demander raison à qqn ou de qqc. à qqn. Demander réparation d'un affront, d'une insulte, d'une lâcheté, autrefois par les armes. Ce n'est pas à vous, homme de soixante-sept ans, que je demanderai raison des insultes faites à mademoiselle Mirouët, mais à votre fils (Balzac, U. Mirouët, 1841, p. 231).Vous avez devant vous le capitaine Frémizon des troupes coloniales! Au nom de mes camarades et des passagers de ce bateau justement indignés par votre inqualifiable conduite, j'ai l'honneur de vous demander raison! (Céline, Voyage, 1932, p. 149).[Par recoupement de supra II A 2] Demander l'explication, le motif d'une conduite, d'un acte. Vous pensiez trouver votre belle-mère ici (...) mais elle nous a abandonnés, ainsi que votre père, et je vais leur en demander raison (Augier, Fils Giboyer, 1862, p. 73). ♦ Rendre raison à qqn. Réparer une offense par le duel. Monsieur, vous êtes un insolent, et vous me rendrez raison (Stendhal, L. Leuwen, t. 3, 1835, p. 126).
β) Faire raison à qqn ou de qqc. à qqn. Réparer une offense ou un préjudice. On alla se battre (...) trois contre trois. Potel et Renard ne voulurent jamais permettre que Masence Gilet fît raison à lui seul aux officiers (Balzac, Rabouill., 1842, p. 374).V. apport ex. 5. ♦ Faire raison de qqn ou, p. anal., d'un animal. En venir à bout; triompher de lui. Un loup ou un renard, les reins à moitié cassés, montre aux chasseurs ses dents blanches et sa gueule noire: les chiens font raison du blessé (Chateaubr., Voy. Amér. et Ital., t. 1, 1827, p. 220). ♦ Se faire raison (soi-même). Se faire justice par sa propre autorité. Il n'est pas permis de se faire raison soi-même (Ac.). ♦ Faire raison (à qqn d'une santé qu'il a portée). Lever son verre et boire à la santé de celui qui vient de boire à la vôtre. Du bras droit il me faisait raison des santés que je portais à sa famille (Raban, Marco Saint-Hilaire, Mém. forçat, t. 1, 1828-29, p. 93).Vous ne refuserez pas de me faire raison encore une fois, dit-il en versant encore à boire et en forçant le créancier à trinquer avec lui (Murger, Scènes vie boh., 1851, p. 240). B. − 1. Synon. de compte. a) Livre de raison. V. livre1III A 1 b. b) DROIT
α) Vieilli. Part d'un associé dans une société commerciale. Synon. intérêt.Sa raison est d'un tiers, d'un cinquième (Ac.).
β) Raison sociale. Nom d'une société constitué, dans le cas d'une société de personnes, des noms des associés personnellement responsables ou du nom de quelques-uns ou d'un de ces associés suivi(s) de la mention et Cie, et sous lequel sont souscrits les engagements sociaux et professionnels de la société. Une fabrique est placée sous une raison sociale; une société change de raison sociale. Son nom [de Beauchêne] ne figurait plus dans la raison sociale, il avait cédé son dernier lambeau de propriété (Zola, Fécondité, 1899, p. 701): 16. Rien n'est changé en revanche [au cours d'une nationalisation] à l'apparence juridique des grandes banques de dépôt ou des compagnies d'assurances; ces sociétés continuent à vivre sous leur raison sociale. Mais tout se passe comme si tous leurs actionnaires s'en étaient retirés, cédant leurs titres à un tiers.
Chenot, Entr. national., 1956, p. 25. − P. ext., lang. cour. Nom d'une société quelle que soit la forme juridique de celle-ci. Synon. vieilli raison de commerce*.À côté de votre nom, il faut un autre nom également populaire; Samazelle est en train de monter en flèche, demain tout le monde parlera de lui: Henri Perron et Jean-Pierre Samazelle, ça c'est une raison sociale (Beauvoir, Mandarins, 1954, p. 236). − Vieilli. Raison de commerce. Synon. de raison sociale.Ne vous avait-il pas réglé votre créance en billets signés de la raison de commerce en faillite (...)? (Balzac, Gobseck, 1830, p. 388).Prenez par exemple une des collaborations les plus heureuses et les plus fertiles de ce temps-ci: celle de MM. Meilhac et Halévy. Longtemps ce dernier nom nous a fait l'effet du « et Cie » des raisons de commerce (A. Daudet, Crit. dram., 1897, p. 181).
γ) Au plur. Synon. de titres, parts, droits.Céder ses droits, noms, raisons et actions; être subrogé aux droits, noms, raisons et actions de quelqu'un (Ac.). 2. a) MATH. Rapport existant entre une quantité et une autre. Le rapport des unités entre elles est ce que nous appellerons la Raison de la série (Proudhon, Créat. ordre, 1843, p. 188): 17. L'homme avoit (...), dès son origine, une connoissance des deux termes extrêmes de l'univers, Dieu et l'homme, la cause et l'effet. Mais pour établir entre eux une proportion qui fût le fondement de l'ordre général et particulier, il falloit un terme moyen, rapport ou raison [it. dans le texte] entre les deux autres...
Bonald, Législ. primit., t. 1, 1802, p. 283. − En partic. Raison (d'une progression arithmétique ou géométrique). Nombre constant qu'il faut ajouter (progression arithmétique) ou par lequel il faut multiplier (progression géométrique) un nombre quelconque pour obtenir le suivant. Dans le cas qui nous occupe, nous porterons, à intervalles équidistants, les chiffres 2, 7, 28, 112, qui sont en progression géométrique de raison 4 (Cléret de Langavant, Ciments et bétons, 1953, p. 52).La progression [arithmétique] est croissante si la raison est positive, elle est décroissante si la raison est négative (C. Lebossé, C. Hémery, Algèbre et Analyse, Classes terminales C, D et T, 1967, p. 275). − Locutions ♦ En raison + adj. La loi de 1827 établissait deux sortes de taxes [postales] progressives: 1. celle dont la progression avait lieu en raison combinée de la distance et du poids (...); 2. celle dont la progression avait lieu seulement en raison du poids (Pradelle, Serv. P.T.T. Fr., 1903, p. 48).En partic. En raison directe de + compl. prép. [Exprime que deux quantités varient dans la même proportion] L'effet d'une force donnée sur une masse donnée, est en raison directe de la force et en raison inverse de la masse (Lagrange, Fonctions analyt., 1797, p. 238).V. inverse I B 3 ex. de Cl. Bernard.En raison inverse* de + compl. prép. P. ext., lang. cour. En raison directe ou inverse de + compl. prép. [Indique que deux choses varient en proportion directe ou inverse] La beauté [d'un livre d'art] n'est jamais en raison directe de la rareté ou des dépenses engagées (Civilis. écr., 1939, p. 30-1).V. inverse I A ex. de Verne et de Teilhard de Chardin. ♦ (Segment divisé) en moyenne et extrême raison. Segment divisé en deux segments de manière que le rapport du segment entier sur le grand segment soit égal au rapport du plus grand sur le plus petit. De même que la diagonale du carré est incommensurable au côté, un rapport comme la « section d'or » est arithmétiquement irrationnel; il s'agit de la proportion continue présente dans le partage d'un segment en moyenne et extrême raison, telle que a/b = (a + b)/a (Encyclop. univ.t. 131972, p. 650).Ce serait un long chapitre à ouvrir que de suivre depuis l'Antiquité le calcul de ces proportions « idéales », telle que cette « sectio divina », comme l'appelait Kepler (en moyenne et extrême raison) (Huyghe, Dialog. avec visible, 1955, p. 84). b) Lang. cour., loc. À raison de ou en raison de + subst. précédé d'un déterm. Synon. de à proportion de, en fonction de, suivant.On paya cet ouvrier à raison de l'ouvrage qu'il avait fait (Ac.).Notre connaissance de ce qui sera (...) est en raison de notre connaissance de ce qui est et de ce qui fut (A. France, Pierre bl., 1905, p. 178): 18. ... dans certains repas [dans la Grèce antique], on en parcourait l'échelle [des vins] tout entière, et, au contraire de ce qui se passe aujourd'hui, les verres grandissaient en raison de la bonté du vin qui y était versé.
Brillat-Sav., Physiol. goût, 1825, p. 263. − En partic. [S'agissant d'une quantité, le plus souvent d'une somme d'argent] Synon. de sur la base de, en comptant et, en partic., au prix de.Il louerait toutes les fenêtres [d'un immeuble, lors d'une cavalcade], ce qui, à raison de trois francs, en moyenne, produirait un joli bénéfice (Flaub., Éduc. sent., t. 2, 1869, p. 147).Le son voyage en raison de 332 mètres par seconde (dans l'air, à la température de 0) (Flammarion, Astron. pop., 1880, p. 115).Cet enseignement intéresse les élèves à partir de l'âge de 13 ans et pendant 4 ans à raison de 150 heures par an (Encyclop. éduc., 1960, p. 185). Rem. L'usage de en raison de dans ce sens est exceptionnel. Prononc. et Orth.: [ʀ
εzɔ
̃]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. Fin xes. « parole, langage, récit » vera raizun (Passion, éd. d'Arco Silvio Avalle, 1), en a. et m. fr.; I. A. 1. fin xes. « ce qui est conforme à la justice, l'équité » de raizon « à juste titre, à bon droit » (ibid., 445); 1135 « ce qui revient à quelqu'un, son droit » (Couronnement Louis, éd. Y. G. Lepage, rédaction AB, 2100); d'où les expr. a) ca 1130 est resun que « il est juste que » (Lois de Guillaume, éd. J. E. Matzke, 4); 1203 est bien raisons que (Chastellain de Couci, Chansons, éd. A. Lerond, I, 2); 1450 c'est bien la raison que (Myst. vieux Testament, éd. J. de Rothschild, 28179); b) 1532 contre raison (Rabelais, Pantagruel, éd. V. L. Saulnier, XVIII, ligne 9, p. 145: il a faict follement et contre raison de assaillir ainsi mon pays); 1604 contre toute raison (Montchrestien, Les Lacènes, acte I ds Tragédies, éd. L. Petit de Julleville, p. 162); c) 1535 comme de raison « comme il est juste » (J. d'un bourgeois de Paris sous François Ier, éd. V. L. Bourrilly, p. 378); d) 1549 plus que de raison (Est.); e) 1656 à telle fin que de raison (Scarron, Léandre et Héro, 55 ds
Œuvres, Paris, J. F. Bastien, t. 7, p. 289); f) 1690, 4 janv. il n'y a point de raison « cela est sans mesure » (Mmede Sévigné, Corresp., éd. R. Duchêne, t. III, p. 800); g) 1694 dr. pour valoir ce que de raison (Ac.); 2. ca 1170 « ce qui est conforme à la vérité, à la réalité » avoir reison... de + inf. « être fondé à dire ou à faire quelque chose » (Chrétien de Troyes, Erec et Enide, éd. M. Roques, 644); a) ca 1180 aveir tort... aveir raison (Marie de France, Fables, 88, 11 ds T.-L.); b) 1775 donner raison à qqn (Beaumarchais, Barbier, II, 2); c) 1797 à tort ou à raison (Sénac de Meilhan, Émigré, p. 1585). B. 1. Ca 1170 « faculté de bien juger » reisun entendre (Marie de France, Lais, éd. J. Rychner, Equitan, 307); d'où expr. a) 1544 mettre qqn à la raison (Bonaventure des Périers, Nlles récréations, éd. K. Kasprzyk, LII, p. 206); en partic. 1673 « réduire quelqu'un par la force » (Hauteroche, Crisp. méd., I, 2 ds Littré); b) 1690 l'âge de raison (Bossuet, 8eAvert., 12, ibid. [1534, Rabelais, Gargantua, éd. R. Calder, XII, ligne 115, p. 92: tu as de raison plus que d'aage]); c) 1692 parler raison (Bouhours, Rem. nouv. sur la lang. fr., p. 63); 2. ca 1170 « intelligence discursive » (Chrétien de Troyes, op. cit., 10); d'où a) 1641 être de raison « qui n'existe que dans la pensée » (Descartes, Réponses aux 2esobjections ds
Œuvres philos., éd. F. Alquié, t. II, p. 557: Dieu [...] n'est qu'un Etre de raison); b) 1826 mariage de raison (Scribe, Varner, Mariage raison, I, 10, p. 393: je contracterai un mariage de raison); 3. ca 1175 « la connaissance naturelle, ici opposée à l'amour » (Chrétien de Troyes, Chevalier Charrette, éd. M. Roques, 365 et 371); apr. 1433 c'est contre Dieu et raison (Jean Regnier, Fortunes et adversitez, Le Livre de la prison, éd. E. Droz, 4625, p. 162); en partic. 1665 « au xviiies., les acquisitions de la philosophie des lumières » (Saint-Evremond, Conversation maréchal d'Hocquincourt avec P. Canaye [in Guerlac] ds Rob.); 4. ca 1200 « règle de la pensée et de l'action humaine qui permet à l'homme de réfléchir, de connaître; bon sens » (Chanson Guillaume, éd. J. Wathelet-Willem, 1479); d'où expr. a) 1559 perdre la raison (Grévin, La Trésorière ds Théâtre compl. et poés. choisies, éd. L. Pinvert, p. 110); b) 1796 recouvrer la raison (Dupuis, Orig. cultes, p. 208); 5. ca 1210 « ensemble des principes directeurs de la pensée » vivre selonc reson (Guiot, Bible, 49 ds Gdf. Compl.); en partic. a) 1810 raison pure « chez Kant, tout ce qui dans la pensée ne résulte pas de l'expérience » (Staël, Allemagne, t. 4, p. 121); b) 1831 raison spéculative (Lamennais ds L'Avenir, p. 274); 6. 1677 « faculté qui permet de saisir l'être véritable des choses; l'absolu lui-même » une raison première et universelle (Boss., Conn., V, 2 ds Littré). II. A. 1. Ca 1112 « cause, motif d'une action » par quel raisun (St Brendan, éd. I. Short et B. Merrilees, 343); d'où expr. a) ca 1170 sanz reisun (Marie de France, Lais, éd. J. Rychner, Bisclavret, 208); 1647 avec raison (Corneille, Héraclius, I, 4, p. 337); b) 1527 par plus forte raison (Isambert, Rec. gén. des anc. lois fr., t. 12, n o151, p. 301); 1580 à plus forte raison (Montaigne, Essais, éd. Villey-Saulnier, II, III, p. 350); c) 1609 la raison d'estat (M. Regnier, Satyres, XI, 27 ds
Œuvres compl., éd. G. Raibaud, p. 131); d) 1789 il n'y a pas de raison pour (Sieyès, Tiers état, p. 34); 1802 ce n'est pas une raison pour (Baudry des Loz., Voy. Louisiane, p. 23); e) 1792 raison de plus (Florian, Fables, p. 199); 2. 1119 « ce qui rend compte de quelque chose, ce qui l'explique » (Philippe de Thaon, Comput, 2203 ds T.-L.); d'où expr. a) déb. xiiies. rendre raison [de qqc.] (Raoul de Houdenc, Vengeance Raguidel, 1008 ds
Œuvres, éd. M. Friedwagner, t. II, p. 31); b) 1661 faire raison de qqc. « donner l'explication de quelque chose » (Molière, Les Fâcheux, II, 2, vers 331); c) av. 1755 se faire une raison (St-Sim., 296, 42 ds Littré); d) 1829 raison d'être (Cousin, Hist. philos. XVIIIes., p. 553: elles ont leur raison d'être); 3. déb. xiiies. « argument, preuve qu'on avance » tantes bieles paroles et tantes bieles raisons (Henri de Valenciennes, Hist. de l'empereur Henri de Constantinople, éd. J. Longnon, 692, p. 120); d'où expr. a) 1732 entrer dans les raisons de qqn (Lesage, Guzm. d'Alf., IV, 7 ds Littré); b) 1811 comparaison n'est pas raison (Jouy, Hermite, t. 1, p. 302); c) 1813 avoir des raisons avec qqn (J.-F. Rolland, Dict. mauv. lang., p. 115); 4. apr. 1433 « satisfaction que l'on réclame, que l'on obtient » a) faire raison et justice à qqn (Jean Regnier, op. cit., 1rerequête au duc de Bourgogne, 132, p. 174); 1604 pronom. se faire raison de qqn (Montchrestien, David, acte III ds Tragédies, éd. L. Petit de Julleville, p. 218); b) 1544 avoir la raison de qqn (Bonaventure des Périers, op. cit., LXXVIII, p. 277); 1819 avoir raison de qqn (Courier, Lettres Fr. et Ital., p. 887); c) 1580 avoir raison d'une offense (Montaigne, op. cit., I, XXIII, p. 118); d) 1580 demander raison de qqc. (Id., ibid., I, IX, p. 37); e) 1629 tirer sa raison de qqc. « se venger » (Corneille, Mélite, II, 3, vers 491). B. 1. Ca 1200 « compte » (Jean Bodel, Jeu St Nicolas, éd. A. Henry, 811 [mil. xiies. « taxe due » Jeu Adam, éd. W. Noomen, 711]); 1290 livre des Raisons (Charta [...] inter Probat. Hist. Sabol. pag. 346 ds Du Cange, s.v. ratiocinium); 1551 livre de raison (Cotereau, trad. Columelle, I, 8 ds Hug.); 2. 1637 « rapport existant entre deux quantités » (Descartes, Lettre à Huygens, 5 oct. ds
Œuvres et Lettres, éd. A. Bridoux, p. 977: à cause que les circonférences ont même raison entre elles que les diamètres); d'où expr. a) 1734 en raison inverse (Voltaire, Lett. philos., XV ds Rob., s.v. inverse); b) 1805 en raison directe de (Cuvier, Anat. comp., t. 2, p. 447); c) 1834 en moyenne et extrême raison (ds Claris, Éc. polytechn., p. 263); d) 1840 la raison d'une progression (Proudhon, Propriété, p. 246: la progression arithmétique dont la raison est 3); 3. 1675 « part de chaque associé dans une société commerciale » la raison de la société (J. Savary, Le Parfait négociant, t. 1, chap. XL, p. 350); 1789 raison de commerce (Beaumarchais, Époques, p. 89); 1807 raison sociale (Code de comm., Paris, livre premier, p. 5). III. Loc. 1. a) 1466 loc. prép. à la raison de « sur la base de » (Jean de Bueil, Jouvencel, éd. L. Lecestre, t. 2, p. 190); cf. 1534 a raison de cent sols (Isambert, op. cit., n o199, p. 385); b) 1514 id. a raison de quoy « à cause de » (Le Grand coutumier de Fr. de 1514, publ. par E. Laboulaye et R. Dareste, Paris, 1868, p. 239); 2. 1546 loc. conj. pour cette raison que (Rabelais, Tiers Livre, éd. M. A. Screech, XX, ligne 41, p. 146); 3. a) 1748 loc. prép. en raison de « à proportion de » (Montesquieu, Esprit des lois, VII, 1, éd. J. Brethe de La Gressaye, t. I, p. 180); b) 1797 id. « à cause de » (Sénac de Meilhan, Émigré, p. 1576: en raison de sa sensibilité). Du lat. rationem, acc. de ratio, propr. « calcul, compte » d'où le sens B 1 livre de raison « livre de compte » usuel jusqu'au xvies.; à partir du sens du lat. class. « justification, argument qui justifie une action » se développe celui de « dispute, discussion » (testament de 615 ds FEW t. 10, p. 113b) d'où enfin « parole, discours » att. en fr. dès la fin du xes. (supra), sens qui s'est maintenu jusqu'au xvies. bien qu'en France, le lat. médiév. ne soit pas att. (mais au xes. chez Hrotsvitha, v. FEW loc. cit. et Flasche, Die begriffliche Entwicklung des Wortes ratio... ds Leipz. Stud. t. 10, p. 57); du sens de « argument, preuve, justification » on arrive à celui de « ce qui est de droit, d'équité », au vies. Leges Burgundionum, 163, 4 (FEW t. 10, p. 114a, v. aussi Flasche, op. cit., p. 31); de même, à partir du sens de « argument » on trouve déjà en lat. class. (Cicéron, Pro Murena, 17, 36) celui de « point de vue acceptable, explication d'un phénomène », distinguant par là ratio de causa « cause réelle »; la philos. médiév. confondant ces deux concepts, cette distinction se perd au Moy. Âge et c'est à la Renaissance, à la faveur de l'empr. de cause que raison retrouve le sens utilisé par Cicéron; enfin le lat. class. connaît aussi le sens de « faculté de connaître le vrai », dû au double sens du gr. λ
ο
́
γ
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ς « compte; faculté de connaître ». On retrouve ce même développement de sens dans les autres lang. rom., v. FEW t. 10, p. 114b. Fréq. abs. littér.: 31 296. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 46 699, b) 37 827; xxes.: a) 41 213, b) 48 197. Bbg. Bloomberg (E.). Ét. sém. du mot raison chez Pascal. Orbis Litterarum. 1973, t. 28, pp. 124-137. − Flasche (H.). Die begriffliche Entwicklung des Wortes ratio ... Leipzig, 1936, 275 p.; Das Wort raison im 16 Jahrht. Z. rom. Philol. 1964, t. 80, pp. 291-315. − François (C.). Raison et déraison ds le théâtre de P. Corneille. York, 1980, 180 p. − Hoffmann (P.). De qq. anomalies ds l'emploi des concepts de raison et de nature ds les livres XV et XVI de l'Esprit des lois de Montesquieu. Ét. sur le XVIIIes. Strasbourg, 1980, pp. 41-64. − Merk (G.). L'Étymol. de race. Trav. Ling. Litt. Strasbourg. 1969, t. 7, n o1, pp. 177-188; Mots fantômes ou obscurs. R. Ling. rom. 1980, t. 44, p. 298. − Merk Lat. -tione 1982 [1978], pp. 146-151, 1359-1360. − Rauhut (F.). Die Bezeichnungen der Ratio im Zeitalter der frz. Klassik in soziologischer Beleuchtung. In: [Mél. Wandruszka (M.)]. Tübingen, 1971, pp. 270-279. − Sckomm. 1933, pp. 88-89. − Vernay (H.). Autour du mot raison au 16es. Z. rom. Philol. 1964, t. 80, pp. 316-326. |